Felice Giani
Felice Giani
San Sebastiano Curone 1758 – Rome 1823
Caprice architectural avec des allégories révolutionnaires
Plume et encre brune, lavis brun
Inscrit Felice Giani Pittore en bas à droite
378 x 512 mm. (14 7/8 x 20 1/8 in.)
Une étrange atmosphère règne sur cette place imaginaire, fantaisie révolutionnaire, héritière lointaine et assagie des caprices de Piranèse. Des hommes se promènent aux pieds de spectaculaires et monumentales sculptures allégoriques à la gloire de la Révolution. Le dessin peut être mis en rapport avec les projets conçus par Giani pendant la courte Repubblica Romana, proclamée le 15 février 1798 par le général Berthier dans un climat d’indifférence ou d’hostilité généralisée. Les troupes françaises réussirent à garder Rome, malgré quelques victoires des napolitains de Ferdinand IV, jusqu’à ce qu’elles se désengagent au cours de l’année 1799, Napoléon nourrissant d’autres ambitions pour l’Italie.
Felice Giani était un révolutionnaire, un jacobin convaincu, « un attivisto al lungo corso » selon l’expression d’Anna Ottani Cavina. Ses nombreuses œuvres prouvent qu’il mit son talent au service de la Repubblica Romana sans la moindre hésitation. Comme nombre d’artistes et architectes, parmi lesquels David Pierre Giottino Humbert de Superville, Giuseppe Camporese et Paolo Bargigli, Giani vit dans la propagation des idées de la Révolution Française une opportunité pour la réalisation de ses rêves d’égalité et de justice. Il fréquentait un milieu d’intellectuels qui partageaient ses opinions, tels que l’avocat et homme politique Antonio Aldini, futur ministre du Royaume d’Italie auprès de Napoléon. Comme lui Giani fut un grand admirateur de Napoléon Bonaparte, qui le fit venir en France vers 1812-13 pour décorer quelques salles des Tuileries, de la Malmaison et de la villa Aldini à Montmorency, ancienne propriété du peintre Charles Le Brun, rachetée et largement remaniée par Pierre Crozat au début du XVIIIe siècle.
A gauche, une allégorie assise tient le faisceau des licteurs dans sa main droite et dans sa main gauche une lance au bout de laquelle se trouve un bonnet phrygien. Elle pourrait être la personnification de la Justice révolutionnaire ou tout simplement de la République romaine. Elle domine deux autres figures qui semblent être Neptune et Cérès et qui tiennent à deux le caducée de Mercure. Ils représentent la Mer et la Terre, les deux composantes principales de la prospérité et du commerce de Rome, rassemblées sous la protection de la République romaine et de sa nouvelle justice. A droite, la République romaine semble être accueillie et couronnée par une allégorie couronnée d’une tour, la ville de Rome.
Bien que Giani ait participé à de nombreux autres projets en lien avec l’histoire révolutionnaire et napoléonienne de l’Italie, tels que le Foro Milano par exemple, il nous semble que l’usage des bonnets phrygiens permet de dater le projet encore relativement tôt. Le bonnet rouge, symbole de la liberté, très utilisé pendant la Révolution française, le fut de moins en moins dès la mort de Robespierre, trop évocateur de la période de la Terreur. Il fut tout à fait abandonné par Napoléon Bonaparte qui lui préféra d’autres symboles, comme l’aigle ou les emblèmes romains, plus aptes à représenter ses visées impériales.
Au bout d’une lance, le bonnet phrygien devient un motif des plus révolutionnaires ; il est donc logique de le trouver dans les projets relatifs à la République romaine. Il apparaît d’ailleurs dans quelques dessins conservés au Museo Napoleonico de Rome, projets pour l’en-tête officiel des courriers du nouveau Tribunato (Assemblée législative), qui peuvent être rapprochés de notre grande feuille. L’un d’entre eux représente un jeune homme coiffé d’un casque antique et tenant, comme notre figure allégorique principale, de la main droite le faisceau des licteurs et de la main gauche une lance portant à son extrémité le bonnet rouge. Dans deux autres feuilles, on retrouve une figure féminine, drapée à l’antique et pourvue des mêmes attributs, qui personnifie la République romaine[1].
Il n’est pas certain que l’on puisse identifier les architectures doriques dans le fond. Elles semblent plutôt relever de la fantaisie architecturale, soulignant le caractère utopique de la vision, encore accentué par les petits promeneurs qui errent entre les piédestaux disproportionnés. Qui sont-ils ? Deux d’entre eux semblent dessiner, un troisième lire, le quatrième est pensif. Peut-être symbolisent-ils ces artistes et intellectuels idéalistes qui soutinrent la République romaine.
[1] Marco Pupillo, « Felice Giani e la Repubblica Romana : i disegni del Museo Napoleonico » dans Felice Giani 1813 Vedute di Villa Aldini a Montmoreny, Museo Napoleonico, Rome, 11 avril – 21 juillet 2013, catalogue d’exposition p. 60-63, fig. 4,5,6, illustrés.