Charles Joseph Natoire
Charles-Joseph Natoire
Nimes 1700 – Castel Gandolfo 1777
La Vierge et l’enfant devant Dieu le père avec saint Georges tuant un dragon
Plume et encre brune, aquarelle sur dessin à la pierre noire. Reprises de Natoire à la plume et à l’encre brune sur l’aquarelle et la gouache. Inscrit en bas à droite à la plume et encre brune : Baciccio invenit Roma 165 ( ?). Numéroté au verso à la plume et encre brune 7 ( ?) 3
488 x 358 mm (19 3/16 x 14 1/16 in.)
Provenance
Paris, collection Louis Galichon (sa marque, Lugt 1061) ; sa vente 4-9 mars 1895, lot 69, comme Giovanni Battista Gaulli, dit il Baciccio ; Londres Jean-Luc Baroni Ltd, 2004.
Bibliographie
Susanna Caviglia-Brunel, Charles Joseph Natoire, Paris, Arthena, 2012, p. 138, illustré ; p. 503, R 57, illustré.
La feuille présentée ici est originellement un projet réalisé dans l’entourage de Pierre de Cortone (1596-1669), malgré l’inscription qui désigne Giovanni Battista Gaulli, dit Il Baccicio (1639-1709). Elle est inspirée en effet par deux compositions célèbres de Pierre de Cortone auxquelles elle emprunte divers éléments. L’une représente Saint Michel archange et la Trinité semble avoir été peinte vers 1656 par Pierre de Cortone pour la Basilique Saint-Pierre sur commande d’Alexandre VII, intronisé l’année précédente. Elle est aujourd’hui perdue mais connue par un dessin conservé au Chicago Art Museum (Fig. 1) et plusieurs gravures. L’autre, représentant L’Immaculée Conception devant Dieu le père (Fig. 2), a été peinte pour un retable de l’église San Filippo Neri à Perouse et a été copiée à plusieurs reprises[1]. Ces deux compositions ont été gravées par François Spierre (1639-1681 ; Fig. 3 et 4), sans doute d’après des dessins préparatoires à l’image de celui conservé à l’Art Institute de Chicago, pour être insérées dans le luxueux Missale Romanum d’Alexandre VII publié en 1662.
La composition de ce grand dessin et ses figures sont typiquement cortonesques ; ses dimensions sont similaires à celles de la feuille de Cortone conservée à Chicago. Il s’agit probablement d’une proposition de composition produite à l’occasion de l’édition du Messale Romanum par l’un des élèves de Cortone travaillant au projet : Ciro Ferri, Lazzaro Baldi ou peut-être encore Carlo Cesi, Guglielmo Cortese, Jan Miel et le graveur François Spierre. L’identification précise de son auteur est impossible tant le dessin a été retouché par Natoire, qui a repassé les contours à la plume et a rajouté de l’aquarelle. Ciro Ferri est l’élève de Cortone qui fut le plus impliqué dans le projet du missel, son style est souvent plus doux et il ne serait donc pas déraisonnable de le désigner comme auteur présumé de cette œuvre. Lazzaro Baldi serait une autre alternative logique : l’artiste ayant copié la composition de l’Immaculée Conception pour l’église San Filippo de Ripantransone, il était très familier avec ce type de composition et de sujet.
Directeur de l’Académie de France à Rome de 1751 à 1777, très investi auprès de ses élèves qu’il emmène dessiner dans la campagne et auxquels il fourni de nombreux dessins à titre de modèles, Natoire a abondamment pratiqué la copie d’après les maîres italiens et la retouche des dessins. Susanna Caviglia-Brunel a observé que sa pratique de la retouche, qui se voulait avant tout pédagogique, se développe dans trois directions : Natoire retouche soit des dessins d’artistes qui lui sont contemporains, le plus souvent ses élèves, soit des contre-épreuves de dessins réalisés par les pensionnaires de l’Académie de France à Rome d’après les maîtres italiens, soit enfin des dessins plus anciens d’artistes italiens ou français, comme c’est le cas de celui que nous présentons ici. Outre la destination pédagogique de cette pratique, c’est sans doute également une confrontation au style des maîtres italiens du XVIIe siècle que cherche l’artiste, style qu’il absorbe ainsi dans sa propre technique graphique et picturale. Outre ses qualités esthétiques indéniables, ses dimensions importantes et son effet visuel spectaculaire, la feuille présente donc un intérêt sur le plan de la compréhension de la construction du style propre de Natoire, de son évolution vers un rococo apaisé, une religiosité sentimentale qui dérivent de son étude d’artistes tels que Ciro Ferri.
La provenance de ce dessin mérite d’être soulignée. Louis Galichon était le frère d’Émile Galichon historien d’art, spécialiste de gravures allemandes, qui fut aussi le propriétaire de la Gazette des Beaux-arts à partir de 1863 et le fondateur de la Société française de gravure. Émile Galichon avait assemblé une collection de dessins et de gravures qui fut très admirée de ses contemporains et dont 39 dessins furent légués au Louvre par son fils. Son frère Louis, membre de l’Académie de Mâcon et lui-même collectionneur, acheta abondamment dans la vente de son frère.
[1] Une version à l’église San Filippo de Neri à Ripatransone fut, selon les fonds documentaires, commandée par Damiano Bonomi et la duchesse de Strozzi à : « un allievo di Pietro da Cortona, su disegno del maestro, simile a quello della Congregazione di Perugia e da lui stesso rivisto e ritocato » (voir Carlo Grigioni, La congregazione dell'oratorio e la Chiesa di S. Filippo in Ripatransone, Tipografia Bagalini, 1904). L’oeuvre est attribuée à Lazzaro Baldi. Luca Giordano semble également s’être très fortement inspiré de cette composition, qu’il reproduit à quelques détails près, dans le sens de la gravure et en prenant l’hydre de la composition du Vatican, dans son tableau du Duomo de Cosenza (Scavizzi, Luca Giordano, p. 277-278, A 172, fig. 251, illustré).