Federico Barocci
Federico Barocci
Urbino 1535 - 1612
Portrait of a Gentleman | Portrait d'un gentilhomme
Huile sur toile
54,3 x 42,5 cm (21 3/8 x 16 ¾ in.)
Provenance
Vente Christie's, Londres, 3 décembre 1997, lot 35 ; Jean-Luc Baroni, Londres ; collection privée, France.
Bibliographie
J.-L. Baroni, Master Painting, 1998, n° 6 ; N. Turner, Federico Barocci, Adam Biro, 2000, p. 126, illustré p. 125, fig. 113.
Exposition
De janvier 2006 à mars 2019, prêté par son propriétaire au Musée des beaux-arts de Lyon pour l'exposition au public.
Installée depuis la seconde partie du xve siècle à Urbino, où le sculpteur Ambrogio Barocci avait été appelé à participer aux décors du Palazzo Ducale, la famille Barocci était constituée depuis plusieurs générations d'artisans et d'astronomes. Ambrogio le jeune, petit-fils du précédent, y fit carrière comme « fabricant de moules, de maquettes en relief, de sceaux et d'astrolabes », mais son fils Federico, bien que formé à ce métier, émit le vœu de se consacrer à la peinture. Il entra dans l'atelier de Battista Franco, qui, originaire de Venise et ayant travaillé à Rome, vint s'installer quelque temps à Urbino vers 1545. Après son départ, Barocci continua sa formation à Pesaro chez son oncle, l'architecte Bartolomeo Genga, auprès duquel il perfectionna son savoir en ce qui concerne « la géométrie, l'architecture et la perspective, toutes matières dans lesquelles il devint érudit [1] ».
Deux voyages à Rome, l'un vers 1550-1555, l'autre en 1560-1563, achevèrent sa formation. Dans la Cité éternelle, Barocci fut rapidement admiré et respecté. Proche de Taddeo Zuccaro et soutenu par le cardinal Giulio della Rovere, il obtint d'importantes commandes, parmi lesquelles les plus remarquables sont certainement ses travaux décoratifs sur le thème de la vie du Christ réalisés dans le casino de Pie IV, érigé sur les plan de Pirro Ligorio dans les jardins du Vatican. Le succès de ce décor, alors même qu'il n'était pas achevé, attisa la jalousie de peintres rivaux qui l'empoisonnèrent, ce dont il ne se remit jamais complètement, gardant toute sa vie une santé précaire. Il rentra à Urbino qu'il ne quitta alors plus que très rarement ce qui n'empêcha pas que, soutenu par le duc Francesco Maria della Rovere, il obtint de très nombreuses commandes pour les églises des Marches.
Son talent ne resta pas confiné à Urbino et, par le biais de la gravure, connut une large diffusion, faisant de lui un artiste recherché. Ainsi, sans avoir à voyager, il fut chargé de réaliser pour les oratoriens de la Chiesa Nuova de Rome La Visitation et La Présentation de la Vierge au temple, pour Clément VIII La Communion des Apôtres destinée à la chapelle Aldobrandini de Santa Maria sopra Minerva et pour le sénateur génois Matteo Senarega la superbe Crucifixion qui se trouve dans le Dôme de Gênes. Enfin, l'empereur Rodolphe II lui-même fit connaître son envie de posséder une œuvre de sa main, que Francesco Maria Della Rovere lui offrit : Énée fuyant Troie (aujourd'hui disparu, connu par une réplique autographe à la Galerie Borghèse de Rome).
Malgré sa solitude relative et sa mauvaise santé, Barocci fut l'un des plus grands artistes de son temps. Son style au maniérisme renouvelé, précurseur du baroque, exerça de son vivant une influence considérable sur tous les artistes de la fin du xvie et du xviie siècle, et même au-delà. Dessinateur prolifique et génial, il sut insuffler à ses grands retables une spiritualité authentique et nouvelle, et ne jamais se départir d'un grand raffinement dans la conception comme dans l'exécution. Son rôle sur le développement d'artistes aussi divers que les Carrache, Francesco Vanni, Ventura Salimbeni, Guido Reni, Rubens, et même Bernini, est indéniable.
Bien que principalement peintre de scènes religieuses, Barocci eut également un grand succès comme portraitiste, genre qu'il pratiqua tout au long de sa carrière « à l'huile ou au pastel, avec un naturel parfait », écrit Bellori [2]. Il réalisa plusieurs portraits de ses protecteurs, notamment les membres de la famille Della Rovere : Giulio (disparu), Francesco Maria II (Les Offices, Florence), Giuliano (1595, Kunsthistorische Museum, Vienne) et peut-être Ippolito (1602, Ambassade d'Italie, Londres). La plupart de ces portraits sont de véritables affirmations de statut et de pouvoir, dans lesquelles Barocci n'omet cependant pas la restitution du caractère du modèle, suivant en cela l'exemple de Titien dont il s'inspira notamment pour le portrait de Francesco Maria II. Barocci réalisa également de nombreux portraits de ses amis, qu'énumère Bellori ; ce beau Portrait d'un gentilhomme, dont l'identité n'est malheureusement pas connue, est sans doute l'un d'entre eux, étant donné la franchise du regard et l'aisance de l'expression. Le style et la palette incitent à le dater de la même période que le portrait présumé d'Ippolito Della Rovere, c'est-à-dire du tout début du xviie siècle. Dans une lettre du 4 mars 1998, Edmund Pillsbury, pour lequel ce Portrait de gentilhomme « est une addition majeure au corpus restreint des œuvres de l'artiste », a déclaré que « la suggestion d'un rapport avec le portrait londonien de 1602 est intrigante et tout à fait plausible. Le traitement opaque de la peinture blanche du col semble exclure toute datation autour des années 1570 ou 1580 ». Nicholas Turner opère le même rapprochement et dresse le même constat dans son ouvrage consacré au peintre.
Barocci est en effet un artiste rare et peu de ses œuvres peintes ont quitté l'Italie. Il n'y en a pas aux États-Unis. Sa célébrité demeura telle que, huit ans après sa mort, le Cavalier Marin – poète le plus important du xviie siècle en Italie – lui dédicaça quelques vers, le plaçant juste après Michel-Ange, Raphaël, Cambiaso et Titien, et louant son habileté à peindre la figure humaine :
Il gran Barozzi è questi.
L'uccidesti Natura invida, e rea,
Perchè tolti i pennelli egli t'havea.
Invida l'uccidesti,
Chè se crear nan seppe huomini vivi,
Benchè d'anima privi,
Fece a credere altrui con color finti,
Ch'eran vivi i dipinti [3].
[1] Giovanni Pietro Bellori, Le vite de' pittori, scultori et architetti moderni, Rome, 1672, p. 171.
[2] Ibid., 1672, p. 192.
[3] La Galeria del Cavaliere Marino. Distinta in Pitture, e Sculture, Milan, Giovanni Battista Bidelli, 1620, p. 233 : « Voici le grand Barocci/ Nature jalouse et coupable ! tu l'as tué/ Parce qu'il t'avait dérobé tes pinceaux/ Jalouse, tu l'as tué/ Parce que bien qu'il ne puisse créer d'hommes vivants/ Bien que sans une âme/ Il pouvait faire croire avec ses couleurs/ que ses tableaux étaient vivants. »